Pakistan - 1988

Sur les traces du Qawwalî

15 Juin - 25 Juin 1988

Une nouvelle mission professionnelle, en compagnie de Jacques Dupont comme producteur et Jean-Claude Aymé comme technicien.


Nous devions aller enregistrer sur place des musiciens de qawwalî, dont certains groupes étaient invités lors de la 72 ème édition du festival d'Avignon au mois de juillet dans le cadre de la "Nuit des musiques du Pakistan", le 21 juillet 1988 au Cloître des Célestins : les frères Sabri étaient un groupe phare de qawwali au Pakistan dans les années 1970, et des musiciens du Sind. Nous devions à cette occasion diffuser à partir d'Avignon une semaine d'émissions/reportages l'après-midi dans le cadre de la série du programme musical de France Culture "Euphonia".

Nous sommes arrivés à Islamabab par un vol PIA, où nous avons été sur-classés ! C'est bien l'unique fois de ma vie que j'ai voyagé en 1 ère classe, oui ! dans le premier étage du boeing 747, le truc bombé. Seul hic : alcool interdit donc non servi. Mes copains avaient acheté des petites fioles de whisky au duty free, et se les passaient... en cachette. Moi je n'aime pas le whisky.

A l'arrivée à l'aéroport, quelle fouille ! Bien sûr on avait les documents officiels de la Radio contenant l'ordre de mission, les autorisations et le contenu des deux grandes malles en fer que nous transportions, remplies de deux nagras, de deux petites consoles de mixage, des câbles, et des bandes. Mais quand même il a fallu tout ouvrir.

Nous avons logé à Islamabab dans un hôtel de luxe, 4 étoiles.

Nous avons pris les transports locaux en ville, et je me souviens bien que moi j'étais au fond du bus (et il faisait chaud !) alors que les hommes étaient devant, on était bien séparés.

Foulard obligatoire, manches longues et pantalon long.

Nous avons enregistré des ambiances de rues dans les environs, à Rawalpindi, à Peshawar notamment, puis nous avons pris un vol pour le Sind, Karachi, au sud du Pakistan.

Quelle chaleur ! Fin du mois de Juin, la pré-mousson. jamais je n'aurais eu l'idée d'aller au Pakistan en voyage si ce n'est pour le travail !

Et il faut dire que je me suis battue pour l'avoir cette mission. Un voyage exceptionnel.

Bon, le Pakistan, c'était encore relativement calme à cette époque.



carte du Pakistan
Vous pouvez agrandir la carte


Rawalpindi
Dans le Bazar de Rawalpindi


Rawalpindi est une ville du Pendjab. C'est la 3 ème plus grande ville du pays après Karachi et Lahore. Elle fut la capitale nationale entre 1959 et 1967, en attendant la construction d'Islamabad, une quinzaine de kilomètres au nord-est.

Peshawar
A Peshawar


Peshawar est une ville d'environ 2 millions d'habitants située à l'extrémité orientale de la passe de Khyber. Elle est la capitale de la province de Khyber Pakhtunkhwa. C'est la capitale des tribus Pachtounes. Il s'agit d'une des villes les plus anciennes du pays, un centre de commerce entre le sous-continent indien, l'Afghanistan et l'Asie centrale.

Dans le Sind

Nous avons pris ensuite un vol d'Islamabab à Karachi.

Quand nous nous déplacions par la route, nous étions dans une voiture "officielle", accompagnés par un représentant du gouvernement. Je me souviens des yeux braqués sur moi des Pakistanais sur les pick-ups qui nous devançaient sur la route, moi qui était assise à l'avant de la voiture (parce que je retirais mon foulard à l'intérieur de la voiture, j'avais tellement chaud ! Et pourtant je nattais mes cheveux).

Oh que de souvenirs ! Que j'étais vêtue comme une... "hippye" me disait mon producteur, alors que nous étions reçus par des gens importants. Le souvenir d'un type, qui, dès que nous étions dans son appartement avait tiré les rideaux de sa fenêtre et a sorti la bouteille de whisky pour nous en offrir...



Shah Latif
Sur la route entre Hyderabad et Shah Latif
un embouteillage de dromadaires



Hyderâbâd est la 2 ème ville la plus importante de la province après Karachi dans la province du Sind. Principalement peuplée par des Muhadjirs et des Sindis, la ville est un fief politique du Muttahida Qaumi Movement (MQM), et a connu des affrontements communautaires ponctuels.

Shah Latif
Les musiciens de Shah Latif (dans le Sind)



Shah Latif Town est l'un des quartiers de la ville de Bin Qasim à Karachi. Il existe plusieurs groupes ethniques dans la ville de Bin Qasim, notamment des ourdous, des Sindhis, des Cachemiris, des Seraikis, des Pakhtuns, des Baloutches, des Memons, des Bohras, des Punjabis et des Ismailis.


Nous avons rapporté des heures d'enregistrements, d'ambiances, d'interviews et de musiques captées en situation.
Je me souviens d'un soir où nous sommes allés enregistrer une séance de qawwalî dans la rue, les spectateurs hommes étaient d'un côté et les spectatrices femmes de l'autre. Eh bien, moi, comme je faisais partie d'une équipe étrangère d'enregistrement j'ai pû m'assoir côté "hommes" aux côtés de mes collègues.

Les frères Sabri

Les frères Sabri ("The Sabri Brothers") étaient un groupe de musique à Karachi, qui interprétait de la musique soufi qawwali.

Originaire de l'est du Penjab, la dynastie des Sabri avait 400 ans d'existence, remontant à un disciple de Mian Tansen, chanteur à la cour de l'empereur moghol Muhammad Akbar, protecteur des arts et des lettres au 16 ème siècle.

Le groupe a été initialement fondé et dirigé par Ghulam Farid Sabri et son frère Maqbool Ahmed Sabri. Les frères Sabri ont débuté en scène en 1958 avant de se faire connaître dès 1961 avec leur premier disque, Merakoinehin.

Vingt ans plus tard, les Sabri Brothers ont promené leur chant à répons islamique sur les cinq continents.

Ils ont été les premiers représentants du qawwali en Occident lorsqu’ils se sont produits au Carnegie Hall de New York en 1975 et ont fait une tournée américaine.

Ghulam Farid Sabri (à droite)
et Maqbool Ahmed Sabri (à gauche)

© Image Internet


© Image Internet


Je me souviens bien des frères Sabri, parce que non seulement d'avoir été avec mes collègues invitée chez eux à Karachi, nous nous sommes retrouvés à Avignon, en Juillet.

Ghulam, il m'appelait "Jasmine" je m'en souviendrai toujours. Jocelyne, Jasmine...
Nous prenions à Avignon nos repas à la même table, mais eux avaient demandé une nourriture particulière surtout concernant la viande.

Ghulam Farid Sabri

"Ghulam Farid Sabri était la figure charismatique de ce groupe familial.
Geste majestueux, longue chevelure henné, oeil obsidienne, voix de stentor, Ghulam était assurément l'attraction des Sabri Brothers au risque de faire oublier le timbre fin et nuancé de son cadet Maqbool Ahmad, corps ramassé comme une balle et regard pétillant.

Le magnétisme de Ghulam Farid faisait oublier que Maqbool s'asseyait à droite de l'orchestre. Une place que les vrais amateurs savent traditionnellement dévolue à la voix principale dans un groupe de qawwali dont la fonction vitale est de psalmodier sur tous les rythmes des vers chantant Mahomet, Ali, son gendre et cousin, Allah et tous ses saints".


Ghulam Farid Sabri
© Image Internet



Le Qawwalî

Le qawwalî est un genre musical populaire en Inde et dans les régions du Pendjab et du Sind au Pakistan, qui exprime une dévotion islamique soufie, une tradition musicale qui remonte à plus de 700 ans. Il trouve son origine en Inde au 14 ème siècle, son fondateur est censé être Amir Khusrau Dehlavi.

Créé à l'origine principalement dans des sanctuaires soufis ou des dargahs il a été longtemps une forte composante du lien social, citadins et villageois venant se réunir dans les mêmes mausolées soufis pour les concerts.

La musique Qawwali a acquis une visibilité internationale grâce au travail de Nusrat Fateh Ali Khan et des Sabri Brothers.



"Les représentations durent traditionnellement des heures, les musiciens naviguent entre harmonies prodigieuses et improvisations saisissantes. Une partie de l'auditoire se retrouve alors plongé dans un état proche de la transe.

La créativité spontanée des interprètes est à la source de multiples effets, comme les envolées de vocalises saregam, tirées de la tradition classique religieuse.

Les chants de qawwalî se classent en deux groupes : les hamd ou manqabat qui sont des chants dévotionnels dédiés à Allah et les ghazal qui sont des chants profanes qui célèbrent le vin ou l'amour.

Un ensemble traditionnel de qawwali est généralement composé de neuf hommes : deux chanteurs principaux qui jouent de l'harmonium (l'harmonium portatif, introduit au 17 ème siècle dans le sous-continent indien par les missionnaires anglais), cinq chanteurs de refrains qui battent la mesure avec leurs mains, un joueur de tablâs et un joueur de tambour dholak.

Les morceaux durent généralement une quinzaine de minutes et sont habituellement arrangées dans le format suivant : La mélodie principale est générée sur des harmoniums, avec généralement des variations improvisées sur ce thème, vient, ensuite, une introduction appelée âlâp, où les chanteurs entonnent différentes notes longues provenant du râga qui sert de soubassement tonique au thème joué, puis, le chanteur principal commence à chanter les vers du poème qui compose les paroles de la chanson, seulement accompagné de l'harmonium. Les mélodies chantées sont improvisées en suivant la structure du râga".





Live in Concert in United Kingdom, Allah Ditta Hall Birmingham



"Après la première exposition du vers par le chanteur principal, un autre le répète sur une mélodie improvisée différente. Quelques vers, en nombre variable, sont ainsi chantés, de façon à conduire vers le cœur principal de la chanson, la chanson débute alors véritablement, à ce moment-là, les tablâs et le dholak commencent à jouer en rythme, avec les chanteurs de chœur battant leurs mains en rythme et tous les membres de l'ensemble s'associent au chant des vers.

Les paroles et les mélodies qui leur sont associées ne sont généralement pas improvisés et sont en fait des chansons traditionnelles très populaires. Durant le cours de la chanson, le chanteur principal et les choristes peuvent improviser une longue mélodie tonale.

La chanson connait une montée du tempo et du pathos, chaque chanteur essayant de se surpasser en termes d'arabesques vocales. Quelques chanteurs exécutent de longues périodes d'improvisations sur le sargam, dialoguant souvent avec un apprenti chanteur. Les chansons finissent habituellement de façon abrupte".



Mais le qawwali est aussi ce poème décrivant les sentiments d'un homme qui regarde une femme, jusqu'à en oublier l'heure de la prière.

Ce sont des odes mystiques.

"J'atteste devant Dieu que je ne suis pas un vagabond
Errant dans ce bazar qu'est le monde
Je suis la trace de mon Bien-Aimé car j'ai le don de l'amour
Je prie comme un ivrogne mais je suis bien lucide
Malgré le souffle du Messie guérisseur
Dans mon coeur tel un malade je cherche
Je suis fautif je suis pêcheur
Tantôt je ris tantôt je pleure
Viens ô Ame des âmes viens me faire une faveur".

Jalâlloddin Rûmi (1207-1273)
Le plus grand poète mystique de l'islam



Les musiciens du groupe

Le groupe "The Sabri Brothers" était composé à l'origine de :

→ Ghulam Farid Sabri, (lead vocals, harmonium)
(b. 1930 in Kalyana, East Punjab – d. 5 April 1994 in Karachi)

→ Maqbool Ahmed Sabri, (lead vocals,harmonium)
(b. 12 October 1945 in Kalyana – d. 21 September 2011 in South Africa)

→ Kamal Sabri (vocals, swarmandal, secrétaire du groupe)
(b. 1935 - d. 2001)

→ Mehmood Ghaznavi Sabri, vocals, bongo drums, tambourine
(b. 1949 in Karachi)

→ Amjad Fareed Sabri (Choriste, jusqu'à la mort de son père)
Supporting Vocalist jusqu'en 1996)
Lead vocals + harmonium dans son propre groupe
(assassinated on June 22, 2016)

→ Fazal Islam Sabri (Choriste),
→ Azmat Farid Sabri (Choriste)
→ Sarwat Farid Sabri (Choriste) - manager du groupe pour l'Europe
→ Javed Kamal Sabri (Choriste)
→ Umer Daraz (Choriste)
→ Abdul Aziz (Choriste)
→ Masihuddin (Choriste + tanpura)
→ Abdul Karim (dholak)
→ Mohammed Anwar (nal, tabla).

L'assassinat d'Amjad Farid Sabri

Ghulam Farid était l'aîné des Sabri. Il est est mort le 5 avril 1994 à 63 ans d'une crise cardiaque.
C'était un mystique soufi lié à l'ordre Chishti et un chanteur majeur de qawwali.

Son fils, Amjad Farid, avait reprit le flambeau.
Amjad Farid Sabri a été assassiné par balles à 40 ans le 22 juin 2016 à Karachi, par deux inconnus à moto.

Il se rendait en voiture dans un studio de télévision situé dans la région de Korangi à Karachi. Pendant le mois du Ramadan, il se rendait souvent à la télévision pour interpréter des chansons religieuses. Deux hommes à moto ont fait feu à bout portant sur le chanteur dans la voiture. Sabri a été touché par pas moins de cinq balles. Transporté à l’hôpital Abbasi Shaheed, il a été déclaré mort à l’arrivée des médecins. Son compagnon, Saleem Sabri, se trouvait dans un état critique. Les deux assaillants ont réussi à s’échapper.


Amjad Farid Sabri - © Image Internet



Amjad Farid Sabri et les Sabri Brothers

Une musique hérétique pour les groupes islamistes extrémistes

Le meurtre d'Amjad Farid Sabri a été revendiqué par les Talibans pakistanais, le groupe TTP Hakimullah Mehsud, qui l'avaient accusé de blasphème.

Cette musique inspirée du soufisme est bannie par certains groupes islamiques extrémistes radicaux, dont les Talibans, et désormais l'Etat islamique (EI), qui considèrent le soufisme, une branche mystique de l'islam vénérant des saints et associant la musique au culte, comme une hérésie.

La police pakistanaise a qualifié ce meurtre d’acte de terrorisme.
Des milliers de Pakistanais se sont rassemblés dans les rues de Karachi pour ses funérailles en juin 2016.

Le meurtre d'Amjad a porté un coup terrible à cette forme traditionnelle de musique religieuse islamique très appréciée en Asie du Sud mais qui se voit aujourd'hui menacée par des groupes extrémistes et aussi par la désaffection des jeunes Pakistanais.

La société pakistanaise est aussi devenue plus conservatrice. Plusieurs années avant l'attaque par les Talibans du mausolée Abdullah Shah Ghazi Mazar (en 2010), les organisateurs y avaient restreint les spectacles de qawwali pour le motif que... les fans fumaient trop de haschich.

Les problèmes de sécurité ne sont pas seuls en cause


dans le déclin du qawwali

L'augmentation rapide du coût de la vie au Pakistan a progressivement éloigné les musiciens de leur base populaire, seules les classes moyennes sont désormais en mesure d'engager des groupes pour des fêtes ou des mariages.

Quetta

Je n'ai aucun souvenir de Quetta, et pourtant j'ai trouvé ces photos dans mon album.
Quetta se trouve dans le Baloutchistan près de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan.



Quetta Quetta


Quetta est la plus grande ville de la province du Baloutchistan, à l'ouest du Pakistan central. Elle est située à une altitude de 1575 m, entourée de montagnes.

Quetta tire son nom du mot pachtoune "kawkot" [= "fort"). C'est qu'elle commande l'entrée par le col stratégique de Bolan en Afghanistan, qui était autrefois l'une des principales portes d'entrée de l'Asie centrale à l'Asie du Sud.

Quetta est un centre de commerce et de communication entre les deux pays le Pakistan et l'Afghanistan, mais aussi pour l'Iran et une grande partie de l'Asie centrale.

La ville a été occupée (1876) par les Britanniques à la suite de la Seconde guerre d'Afghanistan. et est devenue une station militaire de garnison britannique. Elle a été en grande partie détruite lors du tremblement de terre catastrophique de 1935



Comme beaucoup de grandes villes frontalières Quetta a attiré des millions de réfugiés afghans qui ont fui après l'invasion soviétique de 1979. Les réfugiés ont gonflé la population locale à environ 2 millions de personnes.

À la suite de la guerre et des combats en cours en Afghanistan, Quetta est devenue un centre de contrebande d’armes et de drogue et une base pour les dirigeants talibans.


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