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SANAA ET AUTOUR
Jeudi 22 septembre 1977
SANAA - SHIBAM - KHAUKABAN
Une excursion dans les environs de Sanaa, relativement importante car Shibam est à 80 km de la capitale.
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Départ de l'hôtel à 8 hres. Nous prenons un taxi-service jusqu'à Bab el Chaub, où nous devons en trouver un autrejusqu'à Shibam.
Mais mauvaise surprise : Bab el Chaub, c'est la mauvaise porte, il faut aller prendre le taxi à Bab el Yemen !
On y va à pied en traversant le souk. Et là, il est difficile de trouver un taxi. On traverse toute la place et on marche assez loin à l'extérieur des murs pour trouver enfin la bonne station des taxis pour Shibam.
On veut d'abord nous faire payer 200 rials pour une Toyota (car le parcours est en grande partie de la piste). on veut en fait nous faire affréter entièrement la Toyota, pour un jour, à nous trois !
Il faut leur expliquer, une fois encore grâce à l'intermédiaire d'un Djiboutien qui se trouvait là, qui est venu spontanément nous proposer de nous servir d'interprète, que nous voulons emprunter les transports en commun ! C'était bien dire, car aussitôt, on nous propose 10 rials, pour... 80 kilomètres... ce qui est sensationnel comme tarif.
C'est une Toyota où il y avait déjà deux personnes d'assis, et évidemment, il faut attendre qu'elle se remplisse pour pouvoir partir. Payer pas cher, mais être patient.
On ne quittera Sanaa qu'à 10 hres, et c'est à quinze qu'on se retrouvera dans la Toyota : quatre devant, cinq au milieu, et six derrière. Nous, on est derrière, et faire 80 km les jambes coincées, serrées, sans pouvoir les déplacer d'un centimètre, ça n'est pas drôle du tout.
Mais, ce qui est drôle, c'est le spectacle des passagers pendant ce petit voyage. Un gars rentrait d'Arabie Saoudite, il nous montre son passeport avec photo et tampons, mais qui s'ouvre dans le sens inverse de nos livres occidentaux (écriture et sens en arabe). il rentrait dans son village, Khaukaban, après avoir travaillé et gagné beaucoup de sous. Il montre à tout le monde sa chevalière en or, qu'il s'est acheté là-bas.Et au cours du voyage, il arrive même à la troquer à un autre passager de la voiture.
Le voisin, lui, avait une radio-cassette, et on a eu droit à la musique de ses cassettes, et des cassettes du chauffeur, et du "tube" de l'été au Yemen, un morceau qui commençait par une intro de rock/pop, et après l'intro, arrivait le style musique arabe. Et avec son radio-cassette, il en mettait plein la vue à la nana voilée qui était sa voisine de siège. Celle-ci, plaçait et déplaçait le pan de son voile entre eux deux, pour que l'autre, on suppose, puisse y glisser sa main, alors que tous les passagers de la voiture se regardaient en se marrant. Voilà comment, au Yemen, on drague une musulmane voilée.
Au sortir de Sanaa, on a pris la route du Wadi Dahr, mais au lieu de la continuer, on bifurque à gauche, et là, c'est de la piste.On traverse d'abord les montagnes (la chaîne qui entoure Sanaa), puis on traverse une région très plate, un plateau monotone. Il nous a fallu une heure de route, les jambes ainsi coincées.
SHIBAM
Ses impressionnantes structures en forme de tours qui jaillissent de la falaise lui ont valu son surnom de "Manhattan du désert".
Patrimoine de l'Unesco
Située entre deux montagnes au bord d'un vaste wadi inondable et presque complètement isolée de tout autre établissement urbain, Shibam et ses environs conservent le dernier témoignage vivant d'une société traditionnelle qui s'est adaptée à un mode de vie précaire dans un environnement où se pratique l'irrigation des terres agricoles par épandage des eaux de crue.
C'était une étape importante sur le parcours caravanier de la route des épices et de l'encens qui franchissait les hauts plateaux de l'Arabie méridionale, les marchands locaux contribuèrent au développement économique et politique de la ville grâce aux voyages et au commerce extérieur.
L'édification de la mosquée du Vendredi remonte au 9e-10e siècle et le château date du 13e siècle, mais la toute première occupation humaine remonte à l'époque préislamique. La ville actuelle date du 16 ème siècle.
La ville aux maisons de sept étages s'est développée dans une enceinte fortifiée où les rues et les places suivent un tracé rectangulaire. C'est l’un des meilleurs exemples d’un urbanisme fondé sur le principe de la construction en hauteur, l'exemple le plus accompli de l'architecture urbaine traditionnelle hadrami du 16e au 19e siècle, à la fois dans le damier de ses rues et de ses places, et dans l'impact visuel de sa forme surgissant de la plaine inondable du wadi.
L'abandon du vieux système agricole de gestion des crues dans le wadi, la saturation des réseaux d'évacuation traditionnels par l'introduction d'un nouveau système moderne d'alimentation en eau combiné avec un drainage inadapté, ainsi que les changements dans la gestion du bétail sont autant de facteurs qui ont contribué au délabrement de la ville.
L'arrivée à Shibam, donc vers 11 hres, se produit en pleine animation : c'est l'heure du marché. Beaucoup d'échoppes, beaucoup de gens, de voitures. Il y a une belle porte en arche au milieu du village, et des habitations troglodytes dans le fond.
On est arrêté par un mec. Il veut nous conduire à la police ! Et voir nos passeports... Il nous a laissé la paix quand on lui a dit qu'on allait dormir à Sanaa, et pas ici.
On tombe sur le groupe de Nouvelles Frontières. Eux, ils partent vers Khaukaban, le village voisin, mais qui est situé en hauteur, sur un piton, juste au-dessus de Shibam. Il faut grimper la montagne par une faille qui a creusé un chemin.
Nous, nous, nous voulons aller à Thula, situé plus loin, sur le plateau, par la route. Thula est bâtie au pied d'une falaise. En haut de la falaise, il y a une forteresse. La falaise est d'accès difficile dit-on, mais de là-haut on a une vue grandiose...
On repart vers l'entrée du village, mais après discussion avec des chauffeurs, ils nous demandent très cher pour nous y conduire, alors que nous pensions même que l'on pouvait y aller à pied, le guide disant qu'il fallait une heure de marche, alors que les chauffeurs, eux, nous disent trois heures de marche, pour faire environ 4 km...
C'est beaucoup trop loin, on n'a pas le temps, car il faut rentrer à Sanaa avant le coucher de soleil.
Par contre, monter à Khaukaban ça prend une heure de marche.
Alors on abandonne Thula, et on remonte dans le village, et on part à l'assaut de la montagne. Nous croissons le groupe Nouvelles Frontières, qui, eux, en redescendent !
MONTÉE A KHAUKABAN
Le chemin n'est pas difficile. Il tourne sans arrêt. Il faut grimper beaucoup.
Tout au long de la grimpette, on croise des Yéménites, des ânes, des chameaux, qui font des aller-retours entre les deux villages. Car là-haut, à Khaukaban, il n'y a rien, sauf un funduk. Et il faut se ravitailler à Shibam. Et on pense, même, que les gosses doivent faire le trajet tous les jours pour aller à l'école.
On croise une fille du groupe Nouvelles Frontières, qui nous dit : "c'est le plus beau village que j'ai vu !".
Et c'était bien vrai. C'est pour moi aussi, le plus beau village que j'ai vu, et il faut se donner la peine d'y grimper.
On arrive sur une ville fortifiée par de hauts murs, tout en excellent état, avec un énorme donjon à l'entrée, une grosse porte, et ensuite une autre porte, à deux battants, et en arche.
La vue sur les montagnes, car on se trouve en haut d'un piton, est splendide. Les maisons sont d'une architecture d'une finesse ! Avec des terrasses crénelées et ouvragées.
Les rues sont vides. On dirait un village d'un autre siècle. On a même du mal à trouver des gosses pour nous indiquer le funduk, on voulait y prendre un thé, et aussi pour voir à quoi il ressemble. On trouve enfin le le funduk. Personne. On entre. On prend l'escalier aux hautes marches, mais on ne voit aucune pièce.
Rencontres dans un mufredge
Alors on continue jusqu'en haut, et on débouche sur un décors des Mille et Une nuits : le mufredge, ce salon où les hommes papotent tout en mâchant du qât, exactement tel qu'il est décrit dans les livres. Au dernier étage, une pièce, avec des coussins posés tout autour, des armes anciennes yéménites accrochées au mur, et trois Yéménites, affalés dans les coussins. L'un fume une pipe à eau et ressemble à une photographie du début du siècle, et tous mâchonnent du qât.
Nous, sans nous gêner, nous nous déchaussons, et nous demandons : "chay ?" Il semble que nous soyons tombées en pleine "qât-party" de l'après-midi ! On nous donne du thé, et on nous reçoit bien... On nous propose même du qât !
Mais ensuite d'autres Yéménites arrivent, et on nous fait comprendre que notre place n'est plus ici. On paye le thé, et un homme nous reconduit. Il nous demande si on dort au funduk. On lui fait comprendre qu'on rentre à Sanaa. Il nous fait visiter le funduk : les chambres nous semblent correctes, elles ont des lits. Dans la cuisine, des boites de conserves, et il y a même une cuisinière à gaz 4 feux.
Nous prenons le chemin de la descente. On descend beaucoup plus vite, en une demi-heure.
Il est 16h 15 quand on arrive en bas, de retour à Shibam.
Rentrer à Sanaa
Et là se pose le problème de la voiture de retour. On nous propose 50 rials. Pas question.
Alors, avec aisance, on décide de faire du stop. Mais ce n'est pas brillant, car les voitures sont rares, et le peu qui s'arrêtent ne vont pas à Sanaa, mais rentrent dans les villages voisins.
Et on marche pendant 45 minutes dans cette platitude monotone. On commence à désespérer et à se dire qu'on risque peut-être d'être obligé de dormir dans un village, car la nuit s'annonce.
Mais la chance a toujours été avec nous, car voici qu'un camion s'arrête. On pense grimper derrière, mais le camion est rempli de sable. On grimpe alors à l'avant, à côté du chauffeur et de son petit garçon. On se retrouve plutôt serrés, à cinq devant. Ils sont sympa, ne parlent qu'arabe, mais de temps en temps on échange quelques mots, et quelques stylo billes.
Seulement, on fait du 5 km à l'heure (on suppose, car l'indicateur de vitesse est bloqué à zéro).
La nuit tombe à six heures, en cours de route. C'est la première fois qu'on traverse les montagnes en pleine nuit.
Et, enfin, après ce long voyage, on aperçoit Sanaa, illuminée.
Et une fois qu'on a bifurqué, et retrouvé la route goudronnée, voilà que le camion roule plus vite.
On arrive à Bab el Yemen. Le chauffeur s'arrête, et là, le mot inévitable surgit "flouss !". Nous qui pensions qu'il nous avait remorqué par amitié ! On lui donne 20 rials. Il n'est pas content. Alors on se sauve à toute vitesse. Mais il n'était vraiment pas content !
Un vrai dîner, enfin.
On prend un taxi-service jusqu'à El Taghir, et on s'arrête au passage devant le Mokkha Hotel. Alors là, une idée nous traverse à toutes en même temps la tête : manger un vrai repas, de la viande, on va se payer un dîner au Mokkha !
Restaurant au dernier étage, serveurs en tenue smart, musique d'ambiance anglo-saxonne.
Nous, sales comme on peut l'imaginer...
Quel repas ! Escalope viennoise, frites, et crème caramel pour 26 FF chacune. (80 rials à trois).
Qu'est ce que ça fait du bien !
Vendredi 23 septembre 1977
SANAA - AMRAN
Dernier jour. Bon, je n'ai rien écrit sur ce dernier jour.
Sauf qu'on est passé à l'agence, et qu'on est allé à Amran, c'est à 53 km au nord-ouest de Sanaa.
Une ville qui a émergé à partir de la fin du 14 ème siècle, et mentionnée dans les années 1500 et 1600 comme une ville importante. Amran est complètement entourée de murs qui datent de 1720.
Mais seulement : je n'en ai aucun souvenir !
Et on est allé au souk.
DE SANAA À PARIS
Nous nous sommes changées à l'hôtel et nous sommes parties pour l'aéroport.
Je ne me souviens évidemment de rien de rien de ce voyage de retour.
Voilà pourquoi il faut écrire ses carnets de voyage, toujours...
A peine après notre retour en France, on apprenait que deux filles Françaises qui... fréquentaient les hautes sphères du pouvoir... avaient été assassinées, et le 11 ctobre 1977 l'assassinat d’Ibrahim El Hamdi, le Président du Yémen du Nord.
On s'est dit qu'on avait bien fait d'avancer notre vol de retour...
On avait ressenti un pressentiment,
une sensation étrange d'inquiétude.
© Jocelyne P.