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MANAKHA
Mercredi 14 septembre 1977
Ce matin, pas de chauffeur !
C'est la fin du Ramadan. Jour de fête ! Et on en a su quelque chose : toute la nuit les mosquées n'ont fait que brailler.
On avait rendez-vous à 8h 15 avec Mohamed, notre chauffeur, devant l'hôtel. Personne. On pense que ça doit être habituel, dans ce pays-là, d'attendre. Mais l'attente se fait longue. On tente de joindre Ali Azar, notre intermédiaire, qui travaille au Sam City Palace, le dernier en date de palace de la ville, ouvert depuis deux mois seulement. Sans succès.
Alors, on y va au Sam City Palace, et on arrive à le trouver, et il nous dit qu'il va venir nous retrouver d'ici une demie heure.
Quand on revient à notre hôtel, on trouve devant la porte de notre hôtel, une Toyota avec un chauffeur qui n'est pas du tout Mohamed, celui qu'on a rencontré la veille, et qui nous dit être venu pour nous emmener.
Nous ne marchons pas dans la combine. Nous avons, la veille, signé un contrat avec Mohamed, et non avec celui-là ! Un petit gamin, qui vient de Djibouti, et qui parle parfaitement le Français et l'Arabe, nous fut d'un grand secours pour les pourparlers, prenant notre parti, et écoutant tout ce qui se disait.
Il est déjà 10h 30. le chauffeur menace de partir. Ou plutôt, on apprend que lui, il n'est pas le chauffeur, mais il est le propriétaire de la voiture. On décide d'aller ensemble chercher le chauffeur. On apprend que le chauffeur qui était prévu, Mohamed, est parti brusquement pendant la nuit pour Taez !
Ali Azar n'étant toujours pas arrivé, on décide de retourner au Sam City Palace. Longues discussions entre Ali Azar et le propriétaire de la voiture en arabe. On attend le résultat de cette longue conversation, qui par ses mimiques, fait penser à une scène de pièce de théâtre.
Ali nous fait enfin le compte-rendu : Mohamed, le chauffeur d'hier soir a appris soudainement cette nuit le décès de quelqu'un de sa famille, et il est parti pour Taez. Le propriétaire de la voiture veut bien nous conduire, mais à raison de 400 rials par jour au lieu de 300. Voilà la farce qu'on tente de nous faire avaler... Pour nous ce chauffeur il était d'accord pour les 300 rials par jour mais le propriétaire de la voiture ne l'était pas, et s'est intercepté.
Le problème c'est qu'on est le jour de la fête de la fin du Ramadan, et qu'on a aucune chance de trouver une autre voiture, la plupart des Yéménites étant partis dans leurs familles pour faire la fête. Personne ne travaille aujourd'hui, ça se comprend, et ici quand il y a fête, on ne fait plus rien pendant une semaine ! On risque donc d'être coincés à Sanaa pendant 4/5 jours, au moins. Il faut donc partir aujourd'hui à tout prix. On cède sur la moyenne, 350 rials par jour... deal accepté.
Mines réjouies, embrassades entre le propriétaire de la voiture, qui se nomme Abdallah et Ali Azar.
Abdallah est d'accord quant au circuit.
On retourne à l'hôtel, mais on se dit qu'avec cet Abdallah-là... on aura des problèmes...
On quitte Sanaa
Il faut dire qu'il est déjà midi. Et on s'embarque donc à sept dans la Toyota, deux à l'avant plus le chauffeur, trois au milieu, deux derrière, ainsi que notre petit jeune de Djibouti, qui continue à nous aider jusqu'à la sortie de la ville, pour qu'on re-signe un nouveau contrat... avec Abdallah, qui indiquera le trajet, et la somme de 700 rials, que l'on donne immédiatement pour deux jours d'avance. Il faut dire que le premier mot qu'on entend prononcé par Abdallah, c'est "flouss, flouss" !
Ensuite, il faut partir à la recherche de l'essence, car une, deux pompes à essences... ouvertes... mais vides.
Il est 13 hres.
On parcourt tout Sanaa. 13h 30 quand, enfin, on quitte cette ville avec beaucoup de joie.
De Sanaa à Manakha
La route est une route montagneuse, très belle, ce qui nous met de meilleure humeur. On grimpe de plus en plus jusqu'à franchir un col, et Manakkha se trouve derrière, en haut d'un piton, au milieu de terrasses cultivées. On n'a pas mangé à midi. Tout au long du voyage, seul Abdallah réclamera à s'arrêter pour manger, par un "mangiare" habituel, parce que son père était allé en Italie.
Et en plus, il faut chaque jour qu'il achète son quat, qu'il mâchonne en conduisant.
MANAKHA
Logement au funduk
On arrive à Manakkha dans l'après-midi. Ce n'est pas très loin en fait, deux heures trente de route goudronnée environ. On nous indique le funduk. Des marches à monter. Pas très facile avec le sac à dos et l'altitude. On est à 2200 mètres d’altitude. Et ensuite il faut encore grimper dans le funduk un escalier, très étroit, aux marches très hautes, car les pièces d'habitation dans les maisons yéménites sont toujours en hauteur.
On nous donne une pièce pour nous sept. Des matelas de mousse sont posés par terre. Une pièce pas très grande. On décide qu'on mettra les matelas côte à côte, comme pour faire un grand lit pour arriver à dormir à sept. Toutes les chaussures sont enlevées à la porte car l'espace manque à l'intérieur, et les sacs à dos sont posés en ligne contre un mur.
Le funduk a des WC à chaque étage, très rudimentaires : la colonne d'eau n'est pas accrochée et dégringole sur la tête lorsque l'on tire la chasse.
Un tour au village
On sort faire un petit tour. D'abord vers la fontaine qu'on nous a indiquée : il y a une source un peu en descendant où l'on peut prendre de l'eau et se laver.
On rencontre un voyageur, qui lui en est à la fin de son voyage, et il nous fait part de ses impressions. Il nous parle des sources chaudes sublimes, dans lesquelles il s'est baigné, et des "splendides" nuits de Manakkha où le réveil se fait d'abord par les aboiements des chiens à l'aurore, puis par les haut-parleurs de la mosquée qui donne en plein sur le funduk.
A part tout cela... on y mange bien...
La renommée de Manakha elle s'est faite autrefois par sa production de café. Désormais c’est le qât qui a pris le relais.
Et c'est à partir de ce village que démarrent les nombreuses randonnées dans le Djebel Haraz.
On pénètre dans le village. Les gosses nous assaillent. D'abord gentils ils deviennent insistants, demandent bonbons et kalam (stylos), et, suite à nos refus, ils finissent, là encore, par nous jeter des pierres. Et le tout dernier nous menace même de la police.
La Police, elle est présente même au funduk. C'est la "Tourist Police", et il faut remplir une feuille indiquant nom, pays, n° de passeport, et profession... On écrit tous "chômeur" !
Soir
On nous sert un repas au funduk, dans la pièce où l'on dort, par terre au milieu des matelas : riz, viande ou plutôt des os de viande bouillie, et gâteau au miel, un peu gras mais délicieux.
Puis il nous faut refaire signer un contrat à Abdallah, car il remet notre parcours en doute, déjà à peine dès qu'on parle de la journée de demain. Nous voulons faire Manakkha - Bagil et Bagil - Hajja. Après maintes discussions, on décide de laisser tomber bien à regret Hajja, (une citadelle impressionnante) parce que Abdallah ne veut pas s'y rendre en un seul jour. Nous décidons d'aller demain à Beit el Faqui. On ré-écrit un contrat, en indiquant cette fois le circuit, jour par jour, ce qu'on n'avait pas fait sur le contrat précédent.

On nous propose d'aller écouter de la musique yéménite dans la pièce voisine. Moi je n'y vais pas parce que cette affreuse flûte yéménite me tape sur les nerfs. Autant j'adore l'oud, autant je déteste les sons stridents de cette flûte. Tout le monde danse à côté. Il paraît qu'Abdallah était particulièrement défoncé par le quat ce soir-là.
Je me couche, mais malgré les boules Quies, la fiesta qui dure jusqu'à 22h 30 m'empêche de m'endormir.
Jeudi 15 septembre 1977
Quelle nuit ! Comme on nous l'avait dit, ça a commencé par les chiens, je ne sais pas à quelle heure. Malgré les boules Quies, on entend quand même. puis à 4 hres, l'appel du muezzin. Je me dis que ça va se terminer, que je vais me rendormir. Mais ça dure, Ça dure. Ça a duré pendant 3/4 d'heure, et ça n'a fait que me réveiller d'avantage.
Il fait encore sombre dans la pièce. Tout le monde s'agite dans son sac de couchage. Visiblement on est tous réveillés. Je me rendors. Il est 5 hres. Myriam qui était allée dormir dans une autre chambre pour avoir la paix lors de la fiesta d'hier soir, ouvre la porte en criant "Bernard" ! Ils avaient décidé d'aller voir le lever du soleil. Je me rendors. Il est 7 hres. Les garçons se lèvent, s'habillent et partent. On ouvre l'oeil, et cette fois c'est pour de bon, la nuit est terminée.
Je descends pour essayer de trouver quelqu'un pour le petit déjeuner. Je trouve quelque chose qui ressemble à une cuisine, et une femme. Dans mon arabe usuel, j'essaye de lui demander mon petit déjeuner. Ça a bien marché, puisque peu de temps après, elle nous apporte, dans notre chambre, deux thés et un verre d'eau chaude pour mon Nescafé (que j'ai emporté de France), plus un plat de galettes ruisselantes de miel, un peu dans le genre du gâteau d'hier soir. Difficiles à manger car le miel dégouline de partout, mais délicieuses et copieuses.
Balade dans la montagne
On part à 8 hres pour se promener dans la montagne. On va au delà de la source en direction d'un village qu'on aperçoit devant nous, au loin, sur un piton. La route traverse des paysages splendides en terrasses. On croise des ânes, des hommes, des voitures. Les mômes nous escortent, sympas, et tiennent des discussions...
Il y a un village sur la droite, et de ce village descend toute une troupe d'hommes, musique en tête, comme si c'était pour une fête. On les suit, et on sympathise. On peut faire toutes les photos qu'on veut. En fait, il n'y a pas de fête, il ne se passe rien.
Puis, on rebrousse chemin, et on va voir le village qu'on avait laissé de côté. Il y a de splendides maisons dont une toute colorée avec du blanc et du jaune. Les femmes nous donnent des amandes. On donne des bonbons et des trombones aux enfants. Mais très gentils qu'ils étaient au début et pas ennuyeux, ils deviennent, eux aussi, par la suite, très agaçants et très accrocheurs et poussent des braillements lorsque l'on tente de quitter le village.
Sur le retour, une voiture, une Toyota camionnette, nous prend en stop sans qu'on ait demandé quoi que ce soit. On est bien content, en fait, car on se rend compte que la distance était assez longue. On ne nous demande même pas d'argent.
De retour au funduk, la discussion reprend au sujet de la note à payer : 10 rials par lit, 10 rials pour le repas, mais 15 rials parce qu'il y avait de la viande. La discussion se pose à cause de la viande parce qu'on y a vraiment pas touché.