
ADDIS-ABEBA (2 nuits)
Jour 21 - Lundi 27 avril 1981
Welcome à Addis-Abeba ! Entrée dans la ville avec ses affiches de coca-cola. Il y a un barrage de police très strict à l'entrée de la ville. Et puis les usines, toutes les publicités sont en anglais : welcome Siemens, welcome Addis Tyre...
Hotel Hilton
Le temps est devenu nuageux au fur et à mesure qu'on approchait de la ville. Arrivée à l'Hilton. Le tedj qui nous est offert est dégueulasse. On est dans un état des plus poussiéreux et on dépareille au milieu de cette foule d'hommes d'affaires. On a l'air d'être à peine sortis de la brousse, ce qui n'est que la vérité d'ailleurs...
Chambre 621. On espérait une vue superbe sur les collines d'Addis (quand même on est au sixième étage), et en fait on a une vue sur les toits de tôle ondulée et quelques montagnes, bien éloignées.
Retrouvailles avec un monde oublié : une douche bouillante, une salle de bain en carrelage, de la moquette au sol, la sonorisation, la musique douce.
Surprises : la télé nous donne des informations en anglais sur les résultats du premier tour des élections présidentielles en France, et que Mitterrand est en tête.
Et oui retour à la civilisation...
Lavage du corps, lavage des cheveux, un jet de douche à intensité réglable, fantastique !
On s'habille. On se maquille. Méconnaissable... Ou plutôt, je me reconnais de nouveau.
J'ai pu téléphoner (avec beaucoup de mal) à Constantin Kaïteris, mon contact à Addis, qui a accepté de venir boire un pot à l'Hilton.
On dîne à 20 hres.
Ma transformation physique étonne tout le monde. Il est vrai que dans la brousse je ne suis plus la même.
Le buffet :
Soupe de légumes
Côtelettes de porc sauce tomate
Légumes, chou-fleur
Et... gâteau de la Forêt-Noire ! Enfin.
Ils sont tous en train de me piquer dans l'assiette maintenant que je leur en ai donné envie pendant tout le voyage !
L'Ambo est ici à 1birr 75 !!
Rencontre avec Constantin
À 21h, Constantin et sa femme, une éthiopienne, arrivent. On va boire un café au coffee-snack.
Discussion très intéressante. Notre impression sur le pays semble pas trop éloignée de la vérité.
Situation politique stabilisante, relations économiques avec "qui les arrange", que ce soit Russie, Chine, ou USA :
ils achètent les avions chez Boeing et les bus chez Fiat au lieu d'ilyouchines ou de matériel hongrois.
Pas de rupture économique avec les pays hostiles à l'URSS (Chine, USA).
On se quitte à 22 hres et on se couche à 23 hres. Un record d'heure tardive !
Jour 22 - Mardi 28 avril 1981
Malheureusement réveil à 5h 30. L'habitude ! Sur le balcon il fait frais.
Mais le soleil est là et le ciel bleu. Enfin on voit Addis-Abeba sous le soleil !
Il semble bien que la saison des pluies se termine. Il aurait fallu arriver maintenant...
Le petit déjeuner est un régal. Le buffet à satiété :
Papaye
Corn Flakes
Jambon cru et cuit
Fromage
Bacon
Pommes de terre sautées
Salade de fruits
Un croissant
Un petit pain
(recouvert d'un glaçage au sucre)
Un repas pantagruélique !
Achats de souvenirs
On pensait passer la journée au mercato et ne pas manger le midi.
Attente. On attend Jahel (notre accompagnateur) qui doit nous montrer certaines boutiques.
On part à 8h 45. On descend à pied un peu plus loin que l'hôtel car les taxis de l'hôtel coûtent 10 birrs et ceux de la ville (taxis de couleur bleue), collectifs, de toutes marques, simplement ils sont bleus, coûtent 1 birr (tarif touriste). Les Éthiopiens, eux, payent à ce qu'on a vu 25 centimes ou 50 centimes.
Il faut attendre tout de même un bon moment car les taxis qui passent sont pleins, ce n'est pas si évident d'en trouver un du premier coup. Le trajet est relativement assez long, infaisable à pied en tout cas, même rien que de descendre l'avenue Churchill. On s'arrête un peu avant le mercato, car Jahel a repéré une de ses boutiques qu'il connaît.
Au mercato
Ensuite, on entre dans le mercato.
On va à la boutique de Harar où les vanneries sont très chères, et où on ne prend rien. On se sépare ici.
À la boutique suivante, j'achète un panier à grains pour 4 birrs.
Les tables à injera sont très chères : 75 birrs pour une belle et 25 birrs le premier prix. Tant pis, je n'achète pas.
Ensuite, on trouve le marché couvert (marchands de tissu). Les "chamma", ces long voiles blanc arachnéens que portent les femmes sur leurs têtes ou leurs épaules sont très chers, 35,40 birrs.
Puis, le quartier des épices : des encens, des marchands de beurre : des mottes de beurre pour la cuisine mais aussi pour s'enduire les cheveux. Des tas de racines de faux bananier coupées en morceaux et mises à mariner sous la terre. Cela entre dans la composition de la farine qui sert à faire des galettes encore plus indigestes que l'injéra.
J'achète aussi des paniers à provisions : le moins beau à 3 birrs et le plus beau 5 birrs.
Vers 13h 30, je téléphone à Constantin pour convenir d'une heure de rendez-vous. Pour téléphoner (il n'y a pas de cabine !) il a suffi d'entrer dans une boutique et de demander si on pouvait téléphoner, contre paiement bien sûr, mais au prix réel. Rendez-vous pris à 15 hres à l'Hilton.
Retour à l'hôtel
Je cours vite à la piscine. C'est mon premier bain dans cette piscine. L'eau est au moins à 35°, il y a encore une histoire de source chaude là-dessous ! On crève de chaleur, pire qu'un bain en baignoire.
Et voilà qu'à 14h 30 coup de faim. Nous qui ne devions pas déjeuner ! On se paye notre repas :
Gaspacho
Omelette éthiopienne (à la sauce de l'injéra, c'est dégoûtant)
Oignons très fins et viande hachée, fris avec du beurre et des piments
Et quand même un gâteau de la Forêt-Noire
Avec Constantin
15 heures : rendez-vous avec Constantin. On boit un café ensemble et on part refaire un tour de boutiques en ville en sa compagnie, et retour au mercato. Il nous a proposé de nous aider pour nos achats (il parle couramment l'amharique).
Mais en fait on a l'impression que sa présence frêne un peu nos marchandages de la part des commerçants.
On prend sa voiture. C'est très marrant de se trouver dans Addis-Abeba en voiture particulière, ça donne l'impression de faire partie de la ville. Il fait un soleil radieux. En route, il est une source d'informations. Il répond à toutes nos questions.
Alors voilà le complément d'informations qu'on a eues sur ce qui s'est passé dans ce pays.
L'historique
Tout a commencé en 1973 à la suite de la grande famine. A suivi une augmentation du coût de l'essence et en conséquence une grève des chauffeurs de taxi.
Parallèlement, une révolte s'est opérée au niveau militaire pour une question d'augmentation de la solde des militaires (sur le front de l'Érythrée). Ici les militaires sont des engagés, des professionnels. Les étudiants ont reproché à l'armée d'avoir récupéré la révolution.
Deux groupes se sont formés :
Le Meison, rangé du côté des militaires
Le Parti révolutionnaire du peuple (PRP), qui est contre.
Suit une période de terreur rouge. Le PRP tue en pleine rue les sympathisants du Meison.
Dénonciations mutuelles et réciproquement.
Le Meison fut ensuite éliminé par le Derg.
Aujourd'hui
Actuellement les intellectuels ne sont plus ennuyés.
On fait même énormément appel aux techniciens et aux économistes.
On reproche aujourd'hui à Mengistu d'avoir mis sa personnalité à la place de celle de l'empereur. Il occupe ses palais, transformés en hôtels où on utilise toujours la vaisselle et le linge marqué au sigle de l'empereur.
Du temps de l'empereur, tous les livres scolaires comportaient en première page la photo de l'empereur. Autrefois l'empereur était un dieu, quelqu'un d'inaccessible. Aujourd'hui, le chef est quelqu'un de réel, (voir le nombre de portraits partout, pourtant il y a moins de portraits de lui dans le sud que dans le nord).
Il y a des comités dans chaque ville, et les gens, les paysans, dès qu'ils ont un problème, ils vont réclamer, se manifestent.
Le socialisme de Mengistu est très particulier par rapport aux autres mouvements de révolte des pays d'Afrique. Le nationalisme éthiopien est plus important que la dépendance socialiste.
Actuellement, il n'y a pas de parti communiste en Éthiopie. Un comité a été désigné pour le mettre sur pied. Ce comité est en fait, sans en avoir le nom, un parti organisé et bien assis.
L'Érythrée : actuellement, toutes les places sont aux mains du gouvernement central, mais c'est toujours instable.
L'Ogaden : est calme, pourtant Harar, la ville frontière, est occupée par les Russes et les Cubains, et il s'y fait constamment des manœuvres.
La situation politique actuelle : pendant plusieurs années, aucun homme n'est arrivé à sortir du flot. Depuis Mengistu tout s'est mis en place, et il semble s'implanter. Le régime a l'air de bien s'installer et c'est maintenant qu'il va pouvoir passer aux réalisations concrètes.
Des explications des situations que l'on a vécues
Explication de la situation dans laquelle nous nous sommes trouvés à Gondar lorsqu'on nous a fouillé pour pénétrer dans la Poste : Gondar est une ville particulièrement pointilleuse. Gondar a subi une terreur rouge très dure, et le représentant du pouvoir est un ami personnel de Mengistu, et il en fait un peu trop en ce qui concerne la propagande.
Explication des barrages sur la route : ils furent institués pour préserver le monopole du commerce de café. Il y a des barrages officiels et des barrages organisés par les milices communales, qui font la loi, et c'est à la tête du client. D'ailleurs, il faut toujours palabrer et ne jamais monter la voix.
Explication des bons d'essence : ils demandent énormément de paperasserie. Pour ceux qui ont un passeport diplomatique il est plus facile d'en obtenir, mais il a fallu payer en chèque et comme il y a eu beaucoup de chèques sans provision, il a fallu par la suite aller à la banque et faire apposer un cachet prouvant que le compte était approvisionné. Alors que des démarches et que de paperasserie !
La vie est à Addis-Abeba et très agréable : c'est le printemps continuel. Même quand il pleut, il ne fait pas plus mauvais temps qu'à Paris au mois de février ! Par contre, les distractions sont rares. On commence à pouvoir voir quelques films américains potables et le Centre Culturel Italien organise des choses intéressantes.
A propos de la Rift Valley
La Rift Valley est la partie la plus insalubre du pays du fait qu'elle est une dépression. Par exemple, le paludisme ne se développe pas à partir d'une certaine altitude (à Addis par exemple). Pour les gens des hauts plateaux, la Rift Valley c'est l'enfer. D'ailleurs, quand un haut fonctionnaire y a un poste, il reçoit une rente spéciale d'insalubrité.
On a vu, nous-mêmes, dans toute cette région, beaucoup plus de maladie, de nombreux amputés, que partout ailleurs.
La lèpre est très fréquente. C'est moins contagieux que ce que l'on pense. Le problème c'est que la maladie peut être soignée si elle est interceptée à temps, mais comme les gens ne s'en rendent pas compte, ils réalisent qu'ils ont la lèpre que lorsque les centres nerveux sont atteints, et il est trop tard. Avant d'arriver à ce stade la lèpre se manifeste par l'apparition de taches blanches, mais ici, tant que cela ne fait pas mal, on ne va pas se faire soigner.
Explication du feu qu'on a vu sortir des cases sur la route : les familles font un feu sans cheminée, et la fumée sort par le toit. D'une part, il y a un côté positif : cela assainit la case de toutes les bestioles qui se promènent dans le toit. Mais souvent tout le monde sort de la case et le feu prend à la case...
Pour dormir, dans les cases, soit il y a une sorte de petite loggia à l'intérieur, en étage, ou les gens dorment, soit des lits de paille tressée, soit pour les plus pauvres, des peaux de bêtes à même le sol.
Sur les "Gofa" au sud d'arbalète Minch, c'est une population animiste qui a été christianisée au 12e/13e siècle, et qui est redevenue animiste. les "Gofa" sont différents plus du point de vue religieux qu'ethnique.
La suite de mes achats
J'ai acheté un papier à grains de Gambela (bicolore clair et marron foncé) à 4 birrs.
Il y avait un très beau diptyque mais le prix démarré à 400 birrs (non, pas d'erreur de zéro !).
De même, un cure-oreilles ou une croix en argent coûtent 50/60 birrs !
Ensuite, Constantin nous a conduits chez son fournisseur de café car nous voulions en rapporter et nous ne trouvions pas de boutique où en acheter, et à l'aéroport ils en vendaient bien, mais moulu, alors avec le temps qu'il devait avoir traîné en rayon... Et les paquets étaient mous. Alors le café en grains ici en boutique a coûté 13 birrs le kilo.
Nous rentrons à l'hôtel vers 18 heures. Je me hâte de me changer pour prendre un bain à la piscine avant qu'elle ne ferme, et je me hâte encore pour être prête à 19 hres, heure du rendez-vous du groupe car nous sommes invités au restaurant en ville par le Docteur Mengesha.
Au Lalibela Restaurant
On y va à pied. Il fait bien frais mais le ciel est clair et il y a des étoiles (mais ça ne vaut pas Arba Minch !)
On a le choix entre l'injera traditionnelle autour de la table à injera, accompagnée de tedj, ou un repas continental.
Je choisis le repas continental (oh l'horreur de l'injera !!!). Et même Mengesha et sa femme mangeront continental.
Les fauteuils sont super, en bois sculptés, des sièges en cuir comme un peu ceux qu'on a vus au Centre artisanal.
Le décor du plafond est très beau, ressemblant à ceux des monastères.
On mange de la soupe à la tomate avec de la crème fraîche.
Le plat chaud c'est deux gros filets de perches du Nil et des pommes frites, et des carottes, et des haricots verts.
En dessert la suprême banane !
Ensuite, ils retirent le tapis rond qui se trouvait au milieu de la salle, qui découvre une piste de danse.
Musique ultra américaine... Mais on ne danse pas.
Au cours de ce repas j'ai eu une discussion intéressante avec Madame Mengesha (elle parlait anglais) sur la condition féminine en Éthiopie. Donc elle me reconte que du temps de sa grand-mère les filles étaient mariées par leurs parents, et on payait pour marier sa fille, en argent ou en bétail. Elles avaient autour de 10 ans. Elles allaient ensuite vivre dans la famille de leur mari et de toute façon, vu leur jeune âge, il fallait ses aînés pour l'éduquer.
Aujourd'hui, dans les villes, les enfants se choisissent eux-mêmes, mais demandent l'accord de leurs parents, et se marient à l'âge moyen de 17/18 ans.
Le mouvement de libération de la femme marche très bien et même dans les campagnes selon Madame Mengesha. Il se forme des associations et les femmes sont de plus en plus conscientes qu'elles ont les mêmes droits que les hommes.
Retour à l'hôtel à pied : il fait franchement froid.
Soirée à la boîte de nuit de l'Hilton
À l'hôtel, il y a une fameuse boîte de nuit avec orchestre éthiopien moderne (trompette, batterie, percussions, synthétiseur, sax) et un chanteur très connu Mahmoud Ahmad.
Il chante de la musique du Tigré, traditionnelle (avec des intonations arabes), mais énormément arrangée de façon moderne, et qui devient pratiquement de la musique disco-américaine.
Dans la boîte : des couples d'Ethiopiennes et de gros diplomates bedonnants, de tous pays (paraît-il que pour ceux qui ont un passeport diplomatique il n'y a pas de couvre-feu, et de même pour l'Éthiopienne qui l'accompagne...)
Jahel tombe sur un Saoudien qu'il a connu les années précédentes, et qui est accompagné de sa petite amie. Ce dernier veut absolument nous repayer une tournée...
On se couche à 1h 30 du matin. C'est très tard pour nous, mais l'avantage c'est que la musique se termine à 1hre du matin et que pour une fois, on va pouvoir dormir sans boules Quies.
