"Délivrance" ou le Voyage au pays des pygmées
Du 23 Octobre au 7 Novembre 1984
A Bangui
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Lundi 5 Novembre 1984
Pas d'eau à l'hôtel. Se laver !!!!
Nous sommes arrivés au Rock Hôtel. Mais une ombre au tableau se dévoile dans un hôtel si cher ... il n'y a pas d'eau ! Même les WC sont fermés à clé dans le grand hall d'entrée. Et on est si sales ! Alors, on monte les sacs à dos dans les chambres, et on va filer vers la maison de Claudine.
On passe d'abord par la banque, où l'on regroupe nos paquets d'argent à changer en une seule fois pour aller plus vite, et Eric qui effectue le change pour tout le monde se retrouve avec une fortune en mains. Puis on va confirmer nos billets de retour à l'agence du "Point", où il faut payer la taxe d'aéroport de 4000 F CFA (80 FF). Mais on était prévenu dès le départ de cette taxe. On récupère aussi nos sacs laissés là à l'agence.
On prend un taxi. Roselyne, Bertrand et moi, on file chez Claudine. les autres François, Claude, Micheline, vont rendre visite au professeur de médecine, (le professeur Boïto). On leur donne rendez-vous chez Claudine, en expliquant le mieux possible où elle habite (il n'y a pas de numéro ..) puisqu'ils n'y sont jamais allés, eux.
Quand on arrive, Claudine n'est pas là. Mais le boy nous fait entrer et nous laisse nous installer. Dans le salon, la table est dressée... au moins pour quinze personnes ! Le grand repas ! Deux verres pour chacun, service de table, serviettes, on n'en croit pas nos yeux. Comme elle a dû nous attendre !
Alors Roselyne et moi, on décide de se lancer, et on espère qu'elle comprendra : on envahit la salle de bain. Lavage, champoing, mais il y a les ongles des pieds, si noirs qu'on n'en vient pas à bout. Dans le sac retrouvé à l'agence du Point, j'avais laissé la moitié de mes produits de beauté, de la rechange, une robe d'été. Je me sens transformée, robe à bretelles, cheveux propres et non nattés, enfin, et toute propre ! On laisse ensuite la salle de bain à Bertrand. On retourne au salon. Le boy nous propose des rafraîchissements, du sirop de cassis.
Retrouvailes avec Claudine
Claudine arrive. On est accueilli à bras ouverts. Elle nous raconte qu'elle nous avait réservé une table au restaurant hier soir, mis que malgré notre absence, ils y sont allés avec ses amis et ils ont tout dévoré !
Nous discutons autour de la table du salon autour de rafraîchissements. les amis de Claudine, eux aussi travaillent à Bangui, et leurs amis de France qui se trouvaient en vacances chez eux, viennent nous rejoindre pour déjeuner ensemble. Quand Claude, Micheline et François débarquent. Ils ont trouvé la maison. Seulement, nous voyant si propres et si bien habillés, et eux si sales, barbus, ils n'osent pas rester. Nous devons insister pour qu'ils acceptent de rester déjeuner.
Un déjeuner de rois
Et ça en valait la peine ! Claudine nous a préparé le plus beau des cadeaux : une grande bouffe ! Quel repas après 12 jours de jungle, de boîtes de conserves, de riz, de pâtes et de couscous... et de Vache qui rit !
Un repas mi-chinois, mi-français, qu'elle a cuisiné complètement elle-même (son boy fait tout sauf la cuisine, ça, elle n'accepterait pas !). Elle nous dit avoir traversé Bangui de fond en comble, pour trouver tous les ingrédients, et elle y est arrivée.
Nous commençons par la soupe chinoise, que nous prenons sur la table du salon, puis nous passons à la grande table.
- pâtés impériaux, deux chacun, accompagnés de feuilles de menthe et de deux sauces, une chaude, une froide.
- du riz cantonais
- du riz blanc
- un plat de lamelles de boeuf
- un plat de légumes mélangés
- du canard àl'ananas
- un plateau de fromages (du Saint Albray, du roquefort, du Boursault, du gruyère).
Il paraît que le morceau de gruyère coûte à Bangui 80 FF. Il parait, nous disent les amis de Claudine, que lorsqu'on travaille à deux ici à Bangui, un salaire sur deux sert à payer la nourriture, tellement c'est cher.
Et tout cela arrosé d'un rosé glacé et savoureux.
Passons aux desserts :
- salade de vrais fruits frais exotiques, préparée par Claudine.
- crème caramel
- gâteau au chocolat
- il y avait aussi un reste de crème glacée à laquelle nous n'avons même pas touché.
Et... du café... de France.
Il faut bien une page entière pour décrire ce repas pantagruélique, que tous ceux qui sont allés un jour vivre dans la jungle pourront comprendre être le plus grand des bonheurs..
La discussion aussi était intéressante.Les coopérants nous expliquent toujours beaucoup de choses. Ainsi, que pour les Pygmées, le plus beau des cadeaux, c'est un fer de hache. A Bangui ça ne coûte pas cher, mais il fallait le savoir, et pour eux qui ne savent pas travailler le fer, c'est un cadeau de roi.
Autre sujet : ce que devient l'aide des pays industrialisés vers le Tiers Monde. Lorsque la France ou la Chine envoient des sacs de riz en Afrique, eh bien on donne bien à chaque citoyen un sac de riz pour équilibrer sa nourriture, mais l'Africain, lui, au lieu de le consommer, préfère le revendre, car avec l'argent ainsi obtenu il peut nourrir sa famille pendant un mois... au manioc !
Nous discutons de nos projets pour le lendemain, une journée que nous avons complètement libre à Bangui. Certains d'entre nous avaient envisagé de se rendre aux chutes de BOUALI, des chutes d'eau très connues et touristiques, à 90 km à l'est de Bangui. Claudine, elle, nous fait une proposition : elle se rend demain chez un collègue professeur, qui fait une thèse, et qui doit aller dans un quartier africain. Normalement les Blancs ne peuvent aller dans les quartiers africains, mais là c'est une visite "officielle", reçus par le chef du quartier... Et nous pouvons les accompagner si nous le souhaîtons. En fait, cela semble très intéressant et nous acceptons.
En attendant, le programme de cet après-midi, il est : balade dans la suzuki de Claudine à travers la ville.
Le marché aux voleurs
Là, il faut y aller "sans rien". Mais rien du tout, à part un minimum d'argent nécessaire à acheter ce qu'on veut acheter, le porte-monnaie dans la main, bien serré, ou à l'intérieur des vêtements. Pas d'appareil photo, pas de sac, pas de papiers.
Il n'y a en fait rien à acheter : c'est du bric à brac, des vêtements, de la droguerie, mais aussi des choses curieuses à voir : des produits miracle "à faire pousser le poil", des colorants blancs pour les cheveux (de la soude), des morceaux de Tricostéril vendus au centimètre, et du sucre en morceaux vendu non en boîte, mais en monticules de quatre, cinq morceaux de sucres, qui forment des petites pyramides alignées sur une planche.
La mission catholique
Nous sommes repassés chez Claudine pour reprendre de l'argent, car là, à la Mission catholique, c'est au contraire très cher. La Mission catholique elle est connue pour vendre des inclusions d'insectes. ce fut l'idée d'un missionnaire. La Centrafrique est un pays réputé pour le nombre de ses insectes. Il eut l'idée de les présenter, incrustés à l'intérieur de blocs de verre, c'est ce qu'on appelle une inclusion. Alors, il y a là du plus beau au plus horrible : du beau papillon ou de la libellule écartelée, au coléoptère, en passant par la mygale, le scorpion, le serpent... Bertrand en achète toute une série, de grosses bêtes à pattes noires, et j'avoue que j'aurais du mal à acheter ces horribles choses là. Au point que Roselyne dit "Il les mettra dans son cabinet s'il le veut"...
Il y a aussi des tableaux en ailes de papillons, objet que je n'ai non plus jamais pu acheter, l'idée d'avoir sous les yeux ce qui reste de ces magnifiques créatures inoffensives me répugne.
Une autre chose m'a intriguée : on y vendait des pierres noires. Ce sont des pierres qui, paraît il, guérissaient des morsures de serpents. Il y avait d'inscrit toute une explication dont je n'ai seulement retenu que l'application de ces pierres sur les morsures, pouvaient être au début "assez douloureuses". Il paraît que ce remède est très connu. Claude en a acheté une.
Le marché artisanal
C'est le coin pour touristes par excellence. Une grande place autour de laquelle sont installées des échoppes d'artisans. mais attention, l'artisanat centrafricain est inexistant, tout est importé des pays environnants, surtout du Zaïre. j'y ai retrouvé ces toiles peintes en noir et blanc de la Côte d'Ivoire et les colliers en vertèbres de poisson que j'avais achetés au Sénégal 2 FF et qui se vendaient ici 30 FF.Car tout est ici d'un prix exorbitant. Les statuettes sur bois démarrent à un prix équivalent à 250 FF ou 500 FF.
Bangui est envahi par les militaires. Ce sont les militaires français du Tchad. C'est que nous sommes ici juste au moment où le gouvernement français vient de retirer ses Forces du Tchad, et ces militaires ont été provisoirement installés à Bangui, en attendant une nouvelle affectation, la Centrafrique étant limitrophe au sud du Tchad. Notre hôtel, le Rock Hôtel est envahi par les officiers qui y logent.
Ainsi, provisoirement en repos, ils font comme nous : shopping, tourisme et distractions. Nous les avons quelque peu cottoyés, à l'hôtel, ou dans nos visites, et j'ai bien été surprise de rencontrer des gens très courtois alors que je pensais que tous les militaires étaient des rustauds mal élevés.
Là, au marché artisanal, ils n'achètent pas, ils regardent seulement. je fais d'ailleurs la même chose. la nuit est tombée, le marché va fermer, je n'aime pas marchander sans avoir le temps. Je passe dans toutes les boutiques à cent à l'heure : sculptures sur bois, bijoux, colliers en ébène, en malachite du Zaïre, boîtes en laque ou en malachite, masques de bois et de cuivre du Zaïre, ivoire, tableaux en ailes de papillons...
Apéro
On retourne à l'hôtel. Des vendeurs de l'hôtel essayent de nous vendre des tableaux sur écorce d'arbre vernie. C'est assez joli, un peu stylisé, mais j'en ai une indigestion de l'artisanat vu ici.
Nous avons rendez-vous avec tout le groupe dans le salon de l'hôtel pour l'apéritif. Claudine est venue avec nous. Christine qui avait toujours géré la caisse commune, a acheté avec ce qui restait une bouteille de pastis, et une bouteille de Cinzano, rien que pour moi qui n'aime pas le pastis. Elle a donné le restant de la caisse commune à Honoré et à Louis-Marie en pourboire.Honoré devait nous rejoindre à l'hôtel mais on ne l'a jamais revu.
On est tous là autour de la table basse, avec nos bouteilles dans un sac, qu'on n'ose pas sortir, ça ne se fait pas d'emmener et de consommer son alcool dans un grand hôtel !!
Un dîner de rois !!!
On va tous dîner dans un restaurant ensemble. Claudine nous suggère le restaurant de Mama... qui se trouve justement au village artisanal où nous étions tout à l'heure. Seulement Claudine a des craintes : nous sommes très nombreux, et nous n'avons pas réservé. Et cette brave dame a ses humeurs. Tout dépendra de son humeur du moment.
Nous faisons une première tournée dans la suzuki.
Mama est une grosse Africaine, la mama telle qu'on peut se l'imaginer. Claudine lui explique combien nous sommes. Elle commence par lui dire qu'il aurait fallu la prévenir et qu'elle n'a palus qu'un plat d e poisson, et un e poulet etc... Enfin, elle devait être de bonne humeur ce soir là, car elle accepte de nous recevoir.
Deuxième tournée de suzuki... et le groupe se retrouve au complet.
Une immense table et un repas grandiose. La meilleure cuisine qu'on ait jamais mangée en Centrafrique.
- un poisson accompagné d'une sauce escargot (beurre ail et persil)
- du poisson grillé (celui destiné au chef du village, encore mieux que le capitaine)
- du poulet sauce cacahuète
- et en dessert : crème au corossol, succulent
- en infusion de la citronnelle
Et le tout arrosé de vin rouge.
On s'est partagé tous les plats, et on a goûté à tout. Un poisson et deux poulets annoncés, c'était très copieux. Et pas cher par rapport aux autres restaurants où nous étions allés : environ 80 FF, mais en plus, c'était bon.
En digestif, on a sorti les bouteilles d'apéritif, et j'ai avalé deux verres de Cinzano au dessert !
Nous rentrons à l'hôtel. Claudine nous quitte car elle travaille le lendemain matin, et elle nous donne rendez-vous pour la visite du quartier africain (nous allons encore devoir nous lever tôt !).
Fin de soirée en boite
Mais pour nous la soirée, ce n'est pas finie. On a envie de terminer la soirée dans la boîte de l'hôtel. L'entrée coûte le prix d'une consommation, 2000 F CFA. La boîte n'est pas mal du tout. La musique est très bonne, la sono OK, il y a tous les bons succès que j'ai dansés cet été, de "Self Control" à Irène Cara, du rock à la biguine, et jusqu'à ce vieux slow chanté par Joe Dassin. Il y a là, bien sûr, beaucoup de militaires, non plus en short colonial comme en ville, mais qu'on reconnaît à leur coupe de cheveux rase.
A 1 hre, on décide d'aller se coucher (le réveil matinal demain matin !). Le couloir de l'hôtel est envahi par des prostituées de luxe, comme dans tous les grands hôtels de toutes les capitales d'Afrique.
Difficile de dormir... dans un lit...
Nous demandons à la réception de nous réveiller le lendemain matin, enfin, plutôt tout à l'heure, car cela ne nous laisse que cinq heures à dormir. Mais voilà qu'une fois couchée, impossible de m'endormir. La climatisation fait un bruit terrible. Et le lendemain, tout le monde se racontera la même histoire : on n'a plus l'habitude de dormir dans un lit... c'était trop mou... on ne pouvait trouver le sommeil...