République Centrafricaine
1984


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"Délivrance" ou le Voyage au pays des pygmées

Du 23 Octobre au 7 Novembre 1984

À côté des pygmées

circuit en Centrafrique
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Marche en Centrafrique
L'itinéraire de l'expédition - Campement n°5 sur la carte

Lundi 29 Octobre 1984

Une journée de repos.

Il faut tout faire sécher

Heureusement, il n'a pas plu cette nuit ! Nous avions rentrés les vêtements à la tombée de la nuit, et ce matin, après le petit déjeuner, on sort absolument tout : papiers, passeport, argent, objets de toilette... pour les faire sécher. On découvre l'utilisation des feuilles de bananiers comme porte-manteaux. Dans le chemin qui longeait le camp, le spectacle des bananiers était surprenant : chemises, chaussettes, chaussures, les sacs à dos, les trousses de toilette, que d'objets qui devaient être hétéroclites aux yeux des Pygmées !

Ce chemin était le lieu de rencontres. Notamment il y avait un Pygmée qui passait souvent par là, avec un arc musical, un instrument typique, une sorte de petite harpe à quatre cordes.

A "l'hôpital du camp"

Nous soignons nos petites blessures, ou plutôt nous nous faisons soigner par les infirmières du groupe. Car, pour ç, elles travaillent plus que "nos" médecins. Ampoules, désinfection des piqûres des moustiques grattées à sang, et épines dans les doigts...

Le gros problème, ici, c'est l'infection des plaies, qui se produit à une vitesse monstre. Nous, nous avions les produits nécessaires pour nettoyer et faire cicatriser, mais les Pygmées, et même les Africains, eux, n'ont pas tout cela. Et, c'est ainsi que de petites blessures deviennent des catastrophes.

La sangle abdominale de mon sac à dos m'a blessée durant la marche. je suis presque à vif. On me désinfecte et on me badigeonne de Mercurochrome. Et les copains trouvent une bonne idée de rigolade : ils me dessinent un bonhomme au Mercurochrome en haut des fesses, et ensuite me demandent de poser pour prendre la photo !


désinfection


Heureusement, pendant le trek, nous n'avons pas eu de gros incidents, pas de diarrhées (on mangeait tellement de la nourriture européenne faite de féculents !) pas d'entorses, de chevilles foulées ou tordues, et pas de crises nerveuses, ce qui aurait bien pu arriver à l'un ou à l'autre, étant données les difficultés de l'effort.

Pendant que je range ou sors mes affaires à sécher, Achille, l'un des porteurs me demande si je pouvais lui donner de la Nivaquine. J'ai été très surprise car la Nivaquine, soit on la prend pendant très longtemps, le temps du voyage et quatre semaines après, soit on ne la prend pas du tout ! Je lui ai demandé combien de cachets, il m'a répondu "pour deux ou trois jours". Je lui ai donné une plaquette de dix. Par la suite, on m'a expliqué que les Africains, pour beaucoup atteints de paludisme, ne prennent pas de Nivaquine comme nous, régulièrement, mais seulement quand ils sentent venir une crise, alors ils en prennent une grande dose pendant quelques jours.

Petite balade en forêt autour du camp

Ce matin, il fait beau. cela fait du bien de laisser là l'équipement de marcheur et de pouvoir mettre bermudas et ballerines plastiques, de pouvoir aller se balader en forêt avec Honoré, ainsi vêtus et sans sac à dos. Comme on marche bien plus facilement sans sac à dos ! Même pour escalader les troncs d'arbres, ce n'est plus pareil.

Honoré nous montre quelques espèces végétales de la forêt, et ce qu'il ne connaît pas, "de toute façon" n'est pas intéressant, car "seul ce qui est comestible est intéressant", les fleurs c'est sans intérêt !

Un village pygmée

Au cours de cette balade, nous débouchons dans un village pygmée. Il y a un mélange de huttes traditionnelles et de maisons recouvertes de branchages, au milieu des bananiers. Il n'y a pas grand monde... un vieil homme barbu (c'est un signe caractéristiques des Pygmées, ils ont une pilosité beaucoup plus importante que les Africains), et cet homme avait une sacrée barbe, et il paraissait bien vieux.

A côté de lui, une femme aussi très âgée, qui était peut-être sa femme, et une jeune femme portant son enfant dans un pagne.


Pygmées Pygmées


Les autres Pygmées devaient être partis à la recherche de nourriture. C'est pour cela, sans doute, qu'il y avait, ce matin, autant de va et vient sur le chemin qui borde notre camp, les Pygmées devaient se déplacer vers la forêt pour chasser et cueillir.


Les pygmées viennent nous voir au camp

Nous revenons au camp.
L'après-midi se passe à traîner et à bronzer en maillot de bain, sur nos matelas Korrimat, installés dehors. Il fait très beau.



journée de repos


Après ce repos, je m'étonne qu'Honoré ne nous ait pas proposé encore de nous conduire au village pygmée. Moi, j'avais lu dans les livres, qu'il fallait respecter toute une tradition pour se faire accepter dans un village pygmée : laisser un cadeau, voir si le cadeau était accepté, ce qui signifiait que les Pygmées voulaient bien vous rencontrer...

A ma question, Honoré répond "Tu peux y aller comme tu veux, c'est à côté !". Un ton de mépris, il tourne aussitôt la tête. Et je ressens à ce moment là tout le mépris que les Africains doivent avoir pour les Pygmées, ce peuple "en retrait de la Civilisation", ce peuple d'"intouchables", et comme ils doivent ressentir "comme honteuse l'existence des Pygmées".

Ce que j'apprends sur nos voisins pygmées

Honoré m'apprend quelque chose : je faisais une erreur car je croyais que Baminga était le nom des Pygmées de cette région. Je disais "les Pygmées Baminga". Alors que le mot "Baminga" est seulement la traduction du mot "Pygmées" dans la langue d'ici. En Afrique on parle de "Bamingas" et non de "Pygmées".

Honoré m'explique que les pygmées dansent tous les samedis et dimanches, et que ce soir, ils vont encore faire la fête, et que nous pourrons y aller? Ce qui est idiot puisque ce soir, on n'est pas Dimanche. Et quand je lui dis que je suis bien étonnée que les Pygmées puissent connaître le jour de la semaine, Honoré semble choqué, alors que moi-même, partie dans cette aventure, je ne sais plus comment je vis et quel jour on est !

C'est vrai, toute la journée nous avons entendu de notre camp les tam-tams et les chants des femmes, venant du village pygmée. Je crois simplement qu'on n'a pas besoin de provoquer les Pygmées pour assister à leurs chants, car ils chantent tout le temps, cela fait partie de leur vie, cela les aide à faire face aux durs conditions de leur vie en pleine forêt.

Je vais rendre visite à nos voisins pygmées

Alors, je me décide d'aller seule jusqu'au village pygmée. La nuit tombe. On m'a simplement dit qu'il valait mieux que je laisse mon appareil photo au camp, qu'ils n'aimaient pas tellement ça...

Le village est en effet pas loin une minute à pied. Quand je débouche du sentier sur la place du village, tous me regardent.
Le Pygmée qui jouait du tambour s'arrête de jouer et tous les yeux se tournent vers moi. Je me sens assez mal à l'aise, ne sachant pas quoi leur dire (en quelle langue !) et que faire. Pas un sourire, pas un signe d'hostilité.

Puis ils m'ignorent complètement, ils retournent à ce qui les occupait avant mon arrivée. Un homme était en train de balayer la place du village avec un balai fait de branchages. Les places des villages, au milieu des huttes, sont toujours très nettes. Une femme préparait le repas devant une hutte. Mais le joueur de tambour n'a pas repris sa musique. Alors je repars, déçue de ce premier contact.

Un peu plus tard, la nuit tombée, Claude me propose de retourner au village avec lui et Bernadette.

Nous avons appris qu'au village, là où j'étais allée, il y avait une femme pygmée qui parlait le français. Elle est facilement reconnaissable, car c'est la seule qui porte des vêtements, les autres n'ayant qu'un cache-sexe, avec un drôle de noeud, énorme, derrière au dessus des fesses. Elle a l'air très intimidée quand nous lui adressons la parole, et quand nous lui demandons si elle peut nous indiquer le chemin qui conduit au petit village, un autre village pygmée dont on nous a signalé l'existence, et qui se trouve un peu plus loin.

Nous empruntons le sentier, ce village n'est pas très éloigné, mais la nuit est noire, et nous devons nous guider avec une petite lampe électrique, ce qui pour nous, en forêt, n'est pas facile. On tombe même entre les deux villages un tronc d'arbre couché au travers du chemin... dont on se souviendra...

Quand nous débouchons sur la place de ce village (toujours très nette), il y a au beau milieu un tronc d'arbre couché, où sont assis, déjà, une grande partie de notre groupe. les Pygmées sont complètement indifférents à notre présence, ne nous prêtent aucune attention, reprennent leurs bavardages, leurs occupations, on ne les gêne pas le moins du monde. Ce serait plutôt nous qui nous serions gênés, plutôt frustrés, d'être invisibles aux yeux des autres.

Evidemment, nous sommes trop nombreux. Le gros de la troupe s'en retourne, et nous, nous restons seulement à trois, à méditer, là, sur l'indifférence des ces gens vis à vis de nous... Nous sommes assis au milieu d'eux et ils ne nous regardent pas. Ils continuent leurs occupations comme si nous n'existions pas. Mépris, indifférence, ou respect de la liberté de chacun, de notre liberté d'être là, aussi ?

Nous restons un bon moment, dans la nuit, à saisir le charme de cet instant, les sons, la faible lueur des braises devant la case de chaque famille, les discussions murmurées et impénétrables, le silence seulement rompu par des cris d'enfants qui appellent leurs parents. Nous avons le sentiment d'un parfait équilibre entre ces hommes et la nature qui les entoure, la forêt, qui est leur domaine et complète leur harmonie. Nous pensons à notre retour en France, et au souvenir que nous garderons de ce moment.

Nous retournons au grand village, car nous pensons que les autres sont peut-être en train de dîner, et pourraient se demander ce que nous devenons. Nous re-franchissons à la lampe électrique le gros tronc couché sur le chemin, et quand je me retourne, je vois un Pygmée qui nous a rattrapés à la marche, qui, lui, saute au-dessus de l'arbre, en pleine nuit ! comme un sauteur de courses à obstacles !

Nous retrouvons au grand village les autres qui s'y étaient arrêtés, et nous rentrons à notre camp tous ensemble.

Dîner au camp

Le soir, pour dîner... du manioc, que les Pygmées nous ont apporté dans la journée. Cadeau des Pygmées... signifie que nous sommes acceptés ! Il est vrai que nous leur avions donné en cadeau du sel, des allumettes et des cigarettes.

Le manioc est une racine blanche, filandreuse au centre, longue, et cuite à l'eau. Et pour nous, ce soir, ce sera accompagné de... corned beef. le manioc a un goût de pomme de terre, et est très bourratif. Le corned beef africain n'est pas comme le nôtre, mais se présente comme une purée, il nous fait plus penser à de la pâtée pour chiens. Je ne peux pas, avec la meilleure volonté possible, terminer mon assiette, tant mon estomac refuse le surplus.

Une fête au village pygmée

Après la vaisselle, nous retournons tous au grand village, pour assister à la fête. Même Honoré est venu. La musique et les danses sont déjà en train. Nous nous glissons discrètement et nous asseyons au milieu des villageois autour de la place.

La musique est produite par un seul long tambour horizontal qu'un homme frappe sur les côtés, et qui assure le soutient rythmique, sur lequel se placent les chants très caractéristiques, basés sur le yodel, c'est à dire une alternance de la voix de poitrine et de la voix de tête.

Ce sont principalement des choeurs d'enfants, d'abord réunis en un seul groupe, au milieu duquel, dans un ordre, absolument aléatoire, se distingue de temps à autre, un soliste qui pousse la voix plus haut que l'ensemble du choeur, et qui s'efface par la suite.

Puis le groupe se scinde en deux groupes qui se placent aux deux bouts de la place, et qui se répondent.

Les femmes dansent en cercle au milieu de la place, se tortillant les fesses, se trémoussant, se déhanchant, et en glissant sur le sol les pieds joints. Le trémoussement des gros noeuds des cache-sexes au dessus des fesses est assez drôle. Elles simulent la danse de l'éléphant : au milieu du cercle, un personnage complètement recouvert de paille est l'éléphant, et elles, sont les chasseurs qui essayent de le capturer en l'encerclant.

Il fait complètement nuit, il n'y a aucune lumière, aucun feu, et la magie s'opère, entre le rythme du tam-tam, et les ombres noires de ces femmes.

Seulement la fête va être écourtée : la pluie menace. Nos yeux scrutent le ciel de temps à autre avec inquiétude. Nos affaires qui sont maintenant sèches... tout va recommencer... une nuit affreuse en préparation...

Il faut rentrer, il va pleuvoir

Honoré décide tout à coup "Il faut rentrer, il va pleuvoir".

Nous comprenons bien ce qu'il veut dire, et nous nous dépêchons.

Sous la tente, cette fois-ci, nous nous organisons. Nous nous préparons pour faire face à la situation imminente. Cette fois-ci, nous resterons sous la tente. Nous mettons la cape imperméable au dessus du tapis de sol, en la remontant bien sûr sur les côtés de la tente. Nous avons fait attention de ne plus monter la tente dans une pente. Les affaires ont toutes été placées dans des sacs poubelle en plastique, y compris la trousse de toilette, et les papiers, le sac de couchage et le Korrimat. Rien n'est déplié. J'utilise aussi un grand sac poubelle pour continuer l'installation imperméable des côtés de la tente, car la cape est trop petite pour tout couvrir. On n'a jamais assez de sacs poubelle sur soi ! En fait, une bâche ferait mieux l'affaire. Et je dors sans rien, à même le sol, pour éviter que les affaires soient mouillées, car si tout est mouillé, on ne peut plus se réchauffer.

Il pleut et l'eau pénètre dans la tente

Et ça arrive ! le bruit terrible de la pluie. Les trombes d'eau. Avec cette force inouïe. Nous nous serrons au maximum au centre de la tente. Ça y est, l'eau pénètre par les côtés. Le tissus plie et tombe, trempé, sur nos visages. Je repousse au maximum la cape imperméable vers les côtés car l'eau commence à nous envahir. Il n'est pas question de dormir. La hantise de ces nuits de pluie passées sous la tente !

Enfin, après avoir déversé son lot d'eau, la pluie se calme. C'est toujours comme ça. Ça ne s'arrête pas, mais ça tombe moins fort, et cela s'entend nettement au son de la pluie qui se fait plus doux, ce qui nous permet de nous endormir. Alors, là, seulement à ce moment, j'ai sorti mon duvet, et me suis emmitouflée dans sa chaleur, et j'ai dormi.